L’émigration est un phénomène qui, aujourd’hui en Haïti, fait craindre le pire à toutes les institutions. Entre octobre 2022 et décembre 2023, les institutions financières du pays ont enregistré pas moins de 186 démissions, les employés affirmant partir pour les États-Unis ou le Canada. La BRH offre son accompagnement dans le renouvellement des cadres.
Depuis six ans, Haïti fait face à une crise de sécurité sans précédent. La prolifération de la violence armée dans le pays a des répercussions sur tous les pans de la vie nationale. Une des principales conséquences de cette crise : un climat de terreur qui exacerbe les tendances à l’émigration.
C’est une situation qui n’est pas sans conséquence sur le secteur financier haïtien. Étant l’un des premiers pourvoyeurs d’emplois du pays avec un effectif évalué à 4930 employés au 31 décembre 2023, ce secteur a perdu 12,78 % de son capital humain entre octobre 2022 et décembre 2023.
Le 3 juin dernier, la Banque de la République d’Haïti (BRH) a publié un rapport d’enquête intitulé “Impact de l’insécurité sur le capital humain : le secteur financier”. Selon le patron du système financier haïtien, l’analyse des cas de démission révèle que “le système a perdu des cadres à tous les niveaux, depuis les agents de sécurité jusqu’aux directeurs départementaux”.
Cette enquête, réalisée par la banque centrale entre le 29 avril et le 15 mai dernier, a été menée auprès de 39 institutions financières, soit un taux de réponse de 54,2 %. Son objectif était de “collecter des données sur les impacts du climat d’insécurité, les pertes en ressources humaines et les coûts liés aux dommages physiques subis par ces entités financières”.
Taux de rotation et mouvement de personnel
Le renouvellement de personnel semble devenir une véritable constante chez les institutions financières haïtiennes. Pour tous motifs confondus, les pertes en ressources humaines dans ce secteur au cours de la période analysée sont évaluées à plus de 626 employés dans les institutions ayant participé à l’enquête. Parmi eux, 155 cadres d’une banque d’État et 136 d’une institution privée.
Parmi les motifs de départ évoqués par les employés démissionnaires, il y a l’émigration. Ainsi, sur ces 626 départs recensés, 186 ont précisé avoir démissionné pour émigrer aux États-Unis ou au Canada, selon la BRH.
Cependant, lors de la collecte de ces informations, “les responsables des ressources humaines des institutions ont mentionné la difficulté d’identifier les départs pour raison d’émigration”. En effet, “les employés démissionnaires évitent d’être précis quant au motif de leur départ”.
Ainsi, beaucoup de départs ont été enregistrés sous le motif général de “démission”. Une situation qui concerne 255 employés, dont certains pourraient l’avoir fait dans l’objectif de quitter le pays. Pour le reste, 20 employés ont été licenciés au cours de cette période, 158 ont pris leur retraite anticipée, et 7 ont simplement abandonné leur poste.
Un renouvellement compliqué, mais en cours
Le rapport de la BRH indique que le taux de recrutement pour les postes laissés vacants au cours de cette période a été inférieur à 15 %. De plus, les cas de démission et d’abandon concernent particulièrement ceux qui ont déjà acquis une certaine expérience.
Cependant, les institutions financières déploient diverses stratégies pour attirer de nouvelles compétences. Parmi elles, les recommandations, avis sur les plateformes numériques, partenariats avec des universités et écoles professionnelles, mais aussi les affiches à l’intérieur des locaux de leurs succursales, des promotions, recrutements internes et des notes publiques aux institutions partenaires.
Les données sur les catégories recrutées semblent indiquer une certaine préférence pour les critères d’âge. “Alors que les institutions financières n’ont engagé aucun postulant de moins de 25 ans, une grande proportion, s’élevant à 88,5 %, se situe dans la tranche d’âge de 25 à 34 ans, illustrant ainsi un choix prononcé pour des profils jeunes et dynamiques au sein des nouvelles cohortes professionnelles”.
En ce qui concerne la formation, les recrutements affichent une certaine diversité. Seulement 6 % des recrues sont des non diplômés, exclusivement embauchés par les banques commerciales. Les détenteurs d’un diplôme représentent 47 % du total des recrutements, dont 81 % par des institutions financières non bancaires. 32 % sont détenteurs d’une licence dont 36 % dans les banques commerciales et 64 % dans des institutions financières non bancaires. Pour les détenteurs d’un master ou plus, qui représentent 15 % des nouveaux recrutements, la tendance est inversée, 80 % ayant été embauchés par les banques commerciales et seulement 20 % par les institutions financières non bancaires.
Une relève nécessaire
Cette situation n’est pas sans conséquences sur les performances du système bancaire. “Bien qu’en hausse de 6,34 % sur la période septembre 2022-septembre 2023, le Produit net bancaire a maintenu une tendance baissière à partir de juin 2023”, révèle la BRH.
Le maintien de la tendance croissante à l’émigration réduit les possibilités de renouvellement du personnel, selon la BRH. Cependant, elle affirme dans les conclusions du rapport que “des programmes de formation ciblant des domaines précis sont à l’étude dans certains cas et mis en œuvre dans d’autres, afin de pourvoir le système financier et les entreprises en compétences nécessaires correspondant à leurs besoins”.
Ainsi, la BRH affirme continuer d’accompagner des initiatives visant le renforcement du capital humain à travers des partenariats avec les établissements universitaires et professionnels, tout en invitant les institutions financières et non financières à “mettre en place des mécanismes et à offrir des conditions de travail susceptibles de favoriser la rétention des cadres”.