Dans une vidéo virale sur la toile, on constate avec indignation la jeune écolière, Britney Bernard, maltraitée par le directeur de son école, M. Felix Estimé. Ces actes de violence ont eu lieu dans l’enceinte de l’Institution Georges Sylvain dans la commune de Saint-Marc, en présence de dizaines d’élèves. Malheureusement, la violence physique ou mentale est omniprésente dans l’éducation de l’enfant haïtien, et affecte considérablement son développent personnel et social.
Si l’école, comme institution de socialisation en Haïti, doit être un espace de sureté pour les enfants, ces derniers sont malheureusement confrontés à toutes sortes de violence dans la plupart des établissements scolaires. Retards, devoirs non remis, leçons non sues, insubordination ou autre forme de violation du code disciplinaire de l’école, sont autant de motifs pour lesquels on inflige aux jeunes apprenants des punitions non conformes aux normes nationales ou internationales relatives à la protection de l’enfance.
En fait, le recours à la violence est enraciné dans la manière d’éduquer en Haïti. La plupart des enseignants de certaines écoles disposent au moins d’une règle ferme, d’un bout de ceinturon, de bois ou de caoutchouc pour discipliner leurs élèves, avec l’approbation des dirigeants de ces écoles dans la plupart des cas. En effet, nombreux sont les parents et les personnels de l’enseignement qui pensent que les châtiments corporels sont essentiels à une bonne éducation.
« Les enfants sont des petits animaux, il faut les châtier à coup de fouet pour qu’ils apprennent à bien se tenir », pense Magalie, une commerçante de cinquante ans, mère de trois enfants. « Si aujourd’hui les jeunes s’égarent sur la voie de la délinquance, s’ils ont autant de mal à donner de bons résultats à l’école, c’est parce que nous sommes beaucoup trop laxistes avec eux », déclare un instituteur qui requiert l’anonymat.
Selon Rhode Phebee Diogene, mémorante en Psychologie à l’Université de Notre Dame d’Haïti, l’utilisation de la violence dans l’éducation des enfants s’explique souvent par un manque de tolérance, de patience et d’amour chez l’éducateur.
« Certaines personnes ont recours à la violence par frustration, affirme-t-elle. Cependant, il est impératif de comprendre que pour éduquer de manière efficace, il est essentiel de cultiver l’empathie, la compréhension et la tolérance »
Avance l’assistante psychologue de Psycho-Eduquer, détentrice d’un certificat en psychologie de l’enfant.
« Au-delà des conséquences sur la santé physique de l’enfant »
La violence étant un phénomène générateur, a des impacts considérables sur le développement affectif et psychologique de l’enfant, à en croire l’étudiante et conférencière, Rhode Phebee Diogène. Selon elle, la violence peut fragiliser son bien-être psychique et émotionnel, au-delà des conséquences sur sa santé physique.
« Pour un développement sain, l’enfant a besoin avant tout d’un environnement sécurisant où il se sent soutenu, aimé et respecté. […]. A défaut, son estime de soi et sa confiance en lui-même peuvent-être gravement affectées. Ce qui entrainera des difficultés à interagir de manière adéquate avec son environnent et à surmonter les étapes de croissance, ainsi que diverses situations de la vie »
Explique l’universitaire, ajoutant que la violence pourrait aussi conduire au développement de troubles psychologiques tels que l’anxiété et la dépression.
En fait, un enfant constamment réprimandé et victime de violence finira par développer une image négative de lui-même. Il sera par conséquent convaincu de son incapacité à comprendre les matières enseignées et à réussir, si l’on croit les explications de la chercheuse, Rhode Phebee Diogène.
« Cette perception négative engendre un manque de motivation, une anxiété accrue, et une détérioration progressive des performances académiques »
A-t-elle fait savoir dans une interview accordée à Azuéi Le journal.
Tout compte fait, l’instauration d’un climat de peur et d’insécurité par l’usage de la violence ne favorise pas la libre expression ni le développement d’un sentiment de sécurité émotionnelle. Dans ce cas, on peut retrouver des comportements agressifs ou de repli sur soi chez l’enfant.
« Il peut également reproduire ces comportements violents dans ses propres relations, perpétuant ainsi un cycle de violence »
Déplore l’assistante psychologue de Psycho-Eduquer, qui publie régulièrement sur ses réseaux sociaux des contenus dignes d’intérêt en ce qui concerne l’éducation ou l’épanouissement des enfants.
Mais que dit la loi sur la violence faite aux enfants ?
Le châtiment corporel, quel qu’en soit le motif, est prohibé par la législation haïtienne. Ainsi, la loi du 10 septembre 2001 interdisant les châtiments corporels, dispose en son article 1 que
« les traitements inhumains de quelque nature que ce soit y compris les punitions corporelles contre les enfants sont interdits ».
On entend par traitement inhumain
« Tout acte de nature à provoquer chez un enfant un choc corporel ou émotionnel, tel frapper ou bousculer un enfant, ou infliger une punition susceptible de porter atteinte à sa personnalité, par ou sans l’intermédiaire d’un objet ou d’une arme, ou l’usage d’une force physique abusive » (art.2).
C’est le cas de la jeune Britney Bernard, bousculée brutalement jusqu’à perdre son équilibre, puis trainée au sol de manière humiliante par son bourreau, sous les regards impuissants de ses camarades.
En outre, cette loi fait obligation aux personnes, institutions scolaires ou autres organismes travaillant avec l’enfant, de garantir sa sécurité et son développement dans leur intervention. De ce fait,
« l’enfant doit être protégé contre toute forme de violence physique ou mentale » (art.19 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant de 1989).
Plus loin, la loi de 2001 précise que toute autre sanction prévue par l’institution doit être définie dans un code de conduite porté à la connaissance de l’enfant et de ses responsables. Toutefois l’intérêt et la dignité de l’enfant doit animer l’esprit de ce code disciplinaire.
En cas de mésinterprétation dudit code, le ministère de l’éducation nationale aura le dernier mot. Tandis que c’est le ministère des affaires sociales qui tranchera dans le cas où une sanction non prévue dans le code serait infligée à l’enfant.
À noter que le Ministère de l’éducation peut, en cas de faute grave, procéder à la fermeture de l’établissement ou à l’exclusion du fautif. Le cas échéant, ce dernier sera passible du tribunal de droit commun et sera jugé au regard du code pénal haïtien.
Certes, La loi de 2001 sur les châtiments corporels a permis à Haïti de faire un pas décisif vers la protection de l’enfance. Mais peu d’efforts ont été faits au niveau de l’Etat pour assurer son application stricte afin de favoriser le bien-être des enfants.
Après une enquête menée par la Direction départementale de l’Education de l’Artibonite (DDEA), les permis de diriger de M. Clément Geffrard Lanier et Felix Estimé, reconnus coupables d’acte de violence, ont été suspendus par le MENFP le 22 mai dernier.
Mais, est-ce une énième suspension pour étouffer le feu comme d’habitude ? Ou arrive-t-elle en amont d’une série de mesures d’application stricte de la loi afin de garantir le développement sain des enfants notamment en milieu scolaire ? La jeune fille sera-t-elle réparée pour les dommages causés à sa dignité et à son intégrité physique ?