Pour la troisième sortie de la chronique « La vie des mots », Azuéi – Le Journal vous propose d’embrasser l’univers palpitant du poète Adelson Élias, une voix sûre et rayonnante dans les vitrines de la poésie contemporaine haïtienne.
Enseignant et journaliste depuis belle lurette, Adelson Élias a dompté la flamme de l’existence à Petit-Goâve, le 2 janvier 1983. Initiateur de « Parenthèses Littéraires », un espace d’échanges littéraires maintenu dans sa ville natale, ce poète a contribué à de nombreux projets collectifs tels que : « Écrire pour ne pas oublier », une anthologie publiée en 2016 en hommage aux milliers d’Haïtiens frappés par l’ouragan Matthieu, et « On n’assassine pas un poète », une autre anthologie publiée en 2018, en hommage au poète Willems Édouard.
Bien avant, il avait l’habitude de publier ses textes dans des revues internationales comme : Le Capital des mots, Le Coquelicot, Lichen, Éclectique et Margelles. « Ossements ivres » est son premier recueil de poésie, publié chez Bruno Guattari éditeur, en 2019.
Ce natif de la ville de l’empereur Faustin Soulouque est un grand passionné de littérature, particulièrement de poésie. Pour rendre l’art et la littérature plus utiles à son environnement immédiat, il anime souvent des ateliers poétiques dans le but d’initier les jeunes à la culture et aux choses de l’esprit, le seul carrefour où toutes les transformations sociales seraient possibles, selon l’auteur qui a connu une enfance précaire à Cité-Soleil, une commune de la région métropolitaine de Port-au-Prince.
Pour cette troisième sortie de la chronique « La vie des mots », l’auteur nous prête la clé secrète pour entamer ce grand voyage indicible où chacune de ses phrases décrit un fait digne, une réalité furieuse, profonde et intime à notre être.
Paru chez les Éditions Floraison, en août 2020, ce recueil de poèmes, intitulé « Limbes qui tremblent suivi de Adlyne de sel et d’eau », est d’abord un voyage confidentiel au cœur de nos déboires.
Ensuite, il se veut être un appel solennel à la société haïtienne en vue d’aborder les grandes difficultés qui s’emparent de notre existence en tant que peuple. Il constitue, entre autres, une sorte de rappel à nos recrudescences sociales, ces dernières touchant au cœur de notre devenir.
Une main de sang
J’ai honte
d’habiter encore
cette ville blanche
où toujours
de sang
une main attend
pour parapher
le procès-verbal
du jour
(p. 23)
En lisant ce poème, on perçoit rapidement un mal-être chez le poète. Ce malaise n’est pas un refus d’habiter l’espace commun (la terre d’Haïti), mais traduit plutôt le choc des malaises produits par l’écosystème social. En effet, on pourrait le qualifier de refus spatial, se manifestant de l’intérieur vers l’intérieur, et non de l’extérieur. Dans ces vers, il a transformé les réalités en mots pour les faire dénoncer. C’est un jeu à double tête, là le signifiant est à la fois le signifier et l’inverse. En un mot, pour mieux comprendre la complexité de ce discours, il fallait rencontrer Maximilien Laroche à travers ses textes « La double représentation de la scène, Oraliture et Littérature dans la Caraïbe » (GRELCA ;1991).
Quelle prudence
La bouche de l’enfant
et l’absence
de pain
prennent enfin
dans ma ville
le chemin fragile
des habitudes
quelle prudence
encore possible
à ne pas compter demain
jour mort
où est brûlé
jusqu’à la dernière paille
de l’oiseau du souffle
(p. 31)
Tout le poème baigne dans cette absence. Une absence qui prend tantôt la forme de regrets dans notre quotidien, tantôt qui change de tournure en fonction des préoccupations des mots. Ainsi, l’auteur aborde dans ces vers le problème de l’insécurité alimentaire qui fonctionne comme une pratique et engendre, bien sûr, d’autres précarités.
Aucun poème
Aucun poème
ici
crois-moi
ne peut promettre la mer
s’il connaît son métier
s’il choisit d’être honnête
aucun
je le dis sans risque
poème
ne peut se taper dans la poitrine
et croire faire
dans le parfum d’une rose
en fleurs
s’il écoute les
bitumes qui trépignent
sous le poids de la nuit
s’il écoute
toutes les tables
épuisées de silences
(p. 35)
Ici, l’auteur nous rappelle notre devoir national envers la patrie dans un langage ingénieusement soutenu et empreint de rigueur. S’il y a une éthique qui dirige le jeu de dire et de faire, il est avéré que, selon les idées émises dans le texte, les responsabilités sociales des citoyennes et citoyens politiques nécessitent des actions sensées et fidèles au projet de la nation et à l’idéal continu.
À ce niveau, ce texte traduit un engagement fort, majeur plutôt que mineur, éprouvé par la puissance des mots transcendant même tout le processus visant à minimiser et à abaisser le poids de chaque problématique liée à l’économie de cette transformation plurielle.
À travers la répétition de certains mots dans ces vers, que je qualifie de mots-énergies influençant le devenir de chaque vers, jouant ainsi leur rôle de transmetteurs de décharges et de messages pouvant communiquer le sens, l’auteur réussit son travail en tant que créateur avisé.
Ce type de poésie ne ressort pas de l’automatisme. Ce n’est pas une poésie où le poète se contente de créer de belles images pour ne rien dire ou simplement exprimer le vagabondage de l’esprit. Ici, le poète Adelson Élias insiste sur le choix des mots et des thématiques. L’eau, le sel, le silence et l’absence sont des thématiques récurrentes, revenant sans cesse dans le fil des poèmes pour créer une œuvre majeure. Sauvetage !